Par Jean-Baptiste Para
Paul Celan disait que le poème était une bouteille lancée à la mer, dans l’espoir fragile et incertain que le courant l’entraîne vers un rivage où des mains inconnues le recueilleraient. Pour nommer ce rivage, le poète forgeait une expression suggestive et parlait de « terre-cœur ». C’est au cœur de l’être que le poème est accueilli, c’est le cœur de l’être qu’il ranime et auquel il redonne force contre tout ce qui l’étiole, le meurtrit, l’abandonne.
Francis Ponge affirmait que la poésie était « l’atelier de réparation du monde ». Et Baudelaire avant lui avait relevé son incidence dans la vie humaine et sa vertu réparatrice : « C’est une grande destinée que celle de la poésie ! Joyeuse ou lamentable, elle porte toujours en soi le divin caractère utopique. […] Non seulement elle constate, mais elle répare. Partout elle se fait négation de l’iniquité. »
Dans notre société, pourtant, la poésie est sujette à un statut précaire. Nous nous demanderons pourquoi et nous tenterons d’explorer les fondements anthropologiques de la poésie, en réfléchissant au fait que depuis la nuit des temps, il y a toujours eu des poèmes parmi les hommes, comme si ces derniers avaient profondément ressenti que le langage ne se limitait pas à une fonction communicationnelle interhumaine, mais qu’il pouvait et devait être élaboré pour se tourner vers l’ensemble de la réalité terrestre, vers le sensible et le suprasensible, le connu et l’inconnu, vers le cosmos, vers les animaux et vers les morts, c’est-à-dire être une puissance agissante au cœur même de la vie.