Comment les sports modernes se sont-ils implantés en Suisse? Et quelle rôle ont-ils joué dans la construction de l'identité nationale suisse? Ces deux questions mobiliseront les chercheurs et chercheuses qui participeront au 3e congrès de l'Association suisse d'histoire du sport (ASHS) qui se déroulera le 20 mars prochain sur le campus de l'UNIL (bâtiment Synathlon).
La période qui s’étend des années 1860 aux années 1910 voit de nombreuses actions culturelles (comme le village suisse de l’Exposition nationale de 1896) être entreprises par des acteurs de la société civile suisse dans le but de consolider le pouvoir de l’Etat fédéral créé en 1848. Sous cet angle, le domaine de l’éducation physique est également utilisé à cette fin puisqu’au travers de la Société suisse des carabiniers et de la Société fédérale de gymnastique, des fêtes fédérales - qui convoquent des milliers de participants à la veille de la Première Guerre mondiale - sont organisées tous les deux ou trois ans depuis le milieu du XIXe siècle. De même, la gymnastique et le tir doivent servir autant à aguerrir le soldat qu’à former physiquement et moralement le citoyen. Ainsi, suivant la révision constitutionnelle de 1874 et la publication d’une nouvelle ordonnance sur l’organisation militaire, une Commission fédérale de gymnastique est mise sur pied et édite, dès 1876, un manuel d’éducation physique qui cadre l’enseignement obligatoire de la gymnastique à l’école.
Cette période voit également une complexification du champ des exercices corporels avec une circulation intense des savoirs en la matière. En effet, de nouvelles formes de gymnastique apparaissent, telle la gymnastique suédoise, qui viennent concurrencer la gymnastique dite « militaire » (plutôt d’influence prussienne) encore dominante en Suisse. De plus, les sports dits « modernes » invités dans d’autres pays, tels le cyclisme et le football, commencent à s’implanter dans le tissu urbain par l’entremise des actions conjuguées des touristes britanniques, pédagogues oeuvrant dans des pensionnats (surtout de l’Arc lémanique) ou de jeunes membres de l’élite économique marquée par une forte anglophilie.
Ainsi, en moins d’une quarantaine d’années, des associations nationales sont créées (Union vélocipédique suisse en 1883 et Association suisse de football en 1895), dont le but premier consiste à développer la pratique. Dans un deuxième temps, ces dernières s’engagent dans l’organisation de compétitions à l’échelle nationale. Alors qu’au départ, ces nouvelles pratiques étaient incomprises par la majorité de la population et combattues par les tenants de la gymnastique militaire, au tournant du XXe siècle, elles commencent à se diffuser sur le territoire, vont bientôt participer à la construction de la nation et devenir des activités économiques d’importance.
Cette journée d’étude a pour but d’étudier autant l’impact de l’arrivée des sports modernes sur les activités physiques déjà en place que la nationalisation des sports modernes qui s’opère progressivement à la fin du XIXe siècle. De fait, il s’agit de comprendre le double processus auquel est soumis le champ des exercices corporels :
- soit celui de la sportivisation (création de compétitions, homogénéisation des formes de pratique, développement d’une hiérarchie d’institutions)
- soit celui de la nationalisation (présence croissante de citoyens suisses dans les différentes organisations, développement d’une rhétorique nationaliste et usage de symboles nationaux autour des événements sportifs), qui va voir ces activités devenir à la fois des symboles et des vecteurs pour la construction de la nation.
Le double processus auquel est soumis le champ des exercices corporels n’a jamais été véritablement traité et comporte un indéniable intérêt historiographique. Cette journée d’étude fait suite à de précédentes manifestations organisées par l’Association suisse d’histoire du sport (Lucerne 2017, Neuchâtel 2018) ainsi qu’un double panel sur « l’Internationalisation des sports en Suisse » organisé à l’occasion des IVe Journées suisses d’histoire à Lausanne en 2016.