Parmi les multiples changements ayant marqué l’univers du renseignement au cours des trois dernières décennies, il en est un – pourtant majeur par son ampleur – qui est demeuré peu étudié. Il s’agit de la naissance des « cellules de renseignement financier ». Inexistantes en 1990, elles sont aujourd’hui plus de cent-soixante dix à travers le monde. Pour être comprise, leur émergence doit être resituée dans le cadre des normes internationales de lutte contre « l’argent sale ». Elles ont été créées pour être la clef de voûte opérationnelle des politiques mises sur pied au nom de la mobilisation contre les flux de capitaux illicites. En conséquence de ce rôle-pivot, ces nouvelles agences nationale se distinguent par un positionnement inédit, à la jonction de diverses activités et, surtout, de différents univers sociaux, à commencer par ceux de la finance et de la sécurité. Ce positionnement-carrefour soulève avec d’autant plus de force l’enjeu de la légitimation de ces agences atypiques. Il s’agit ici de poser plus précisément la question de leur « droit d’entrée » dans le champ de la sécurité, où se trouvent les destinataires de leurs renseignements. Cette question est d’autant plus cruciale que la gestion de « l’argent sale » – et des multiples crimes associés – se joue en partie dans ces relations entre les agences de renseignement financier, les organismes d’application de la loi (polices et autorités administratives), les acteurs judiciaires et les services de sécurité nationale. Poser cette question est également une façon d’interroger plus globalement le rôle du renseignement dans les modes de policing contemporains. Pour y répondre, cette communication repose sur une enquête empirique inédite réalisée au sein d’une de ces agences nationales, au Canada.