Organisée par Benjamin Storme et Marie-Hélène Côté
Le développement de l’expérimentation en ligne et l’accessibilité accrue d’outils de modélisation statistique promettent de renouveler la pratique de la linguistique, en permettant de satisfaire les exigences d’une science à la fois ancrée dans les données et structurée par la théorie. Cette journée d’étude vise à faire un bilan des apports des approches mêlant expérimentation et modélisation grammaticale pour la linguistique française, en couvrant un vaste champ de domaines de spécialité, allant de la phonétique à la sémantique.
Le but de cette journée pluridisciplinaire est de partager les méthodes expérimentales et computationnelles utilisées dans ces domaines souvent cloisonnés mais qui pourtant visent à éclairer un même objet : la langue française.
La journée, qui aura lieu le 3 juin 2022, accueillera quatre invité·e·s :
La liaison variable est un phénomène en français parlé où une consonne latente à la fin d'un mot peut être prononcée si le mot suivant commence par une voyelle. Des travaux antérieurs ont mis en évidence le lien entre la liaison variable et la forme écrite, mais n'ont pas exploré en détail laissé les aspects sociaux de ce lien. Ici, nous examinons les significations sociales de la liaison variable en mobilisant la conception des champs indexicaux d'Eckert dans le cadre de la sociologie pragmatique, une approche sociologique critique qui fournit un modèle pour comprendre précisément comment se produit l'interprétation sociale, notamment en proposant qu'une situation interactionnelle sociale donnée est gouverné par un système de valeurs spécifique, significatif localement (appelé monde) auxquels les acteurs se réfèrent pour justifier leurs comportements. Nous testons ensuite expérimentalement le lien entre la liaison et l'écrit et montrons que ce n'est que dans monde industriel, où le professionnalisme et l'expertise sont valorisés comme un moyen d'établir sa place dans une hiérarchie fondée sur le mérite, que les auditeurs de notre tâche interprètent le sens social de la liaison variable réalisée.
Cette étude se focalise sur l’intuition des locuteur-rice-s à propos de la nouveauté de mots créés selon des procédés morphologiques réguliers. Nous étudions plus précisément l’effet du degré de productivité (fort vs. faible) et de la nature de l’affixe utilisé (préfixe vs. suffixe) sur l’identification ou la compréhension de néologismes en contexte. Une série de trois expériences, dont deux avec suivi des mouvements oculaires, montre que qu’il existe bien un effet de la productivité au niveau des suffixes, ceux qui sont très productifs créant des néologismes moins saillants que ceux qui sont peu productifs, mais pas au niveau des préfixes. Ces résultats montrent que les néologismes morphologiques ne sont pas traités de manière homogène. En particulier, les locuteur-rice-s auraient plus tendance à stocker les suffixations dans leur lexique mental, alors que les préfixations auraient un statut plus proche de celui de la modification syntaxique.
Depuis environ vingt ans, de nombreux chercheurs ont entrepris de mieux comprendre les effets d'adaptation inter-individuelle dans la production et la perception de la parole. On a notamment scruté avec attention les effets de convergence phonétique, c'est-à-dire le fait pour un locuteur d'avoir tendance à imiter la manière dont une autre personne entendue par lui produit les sons de la parole. Depuis les travaux fondateurs de Goldinger (1998) et Pardo (2006), la convergence phonétique a été étudiée en laboratoire au moyen d'une large variété de paradigmes et de mesures acoustiques et perceptives. Dans cet exposé, je présenterai une synthèse des travaux qu'avec différents collaborateurs, j'ai pu réaliser sur la convergence inter-individuelle dans la production de la parole. Je présenterai également de premiers éléments sur un projet nouveau visant à établir dans quelle mesure des auditeurs convergent l'un vers l'autre dans la perception des sons de la parole.
Les connecteurs comme puisque, alors et si servent à indiquer la nature de la relation de cohérence qui lie des segments du discours. Leur usage est fréquent dans la plupart des genres textuels, mais ils ne sont toutefois pas systématiquement utilisés. De nombreuses relations sont en effet communiquées de manière implicite et reconstruites par inférence. Dans cette présentation, nous aborderons la question du rôle des connecteurs dans la communication, et présenterons les types de contraintes cognitives qui conduisent les locuteurs·rices à utiliser (ou non) un connecteur pour marquer une relation de cohérence. Nous parlerons notamment de la contrainte de continuité, et argumenterons que cette contrainte doit être envisagée d’un point de vue narratif. Au travers de l’exemple du connecteur en effet, nous observerons cette contrainte à l’œuvre dans une expérience de lecture en ligne. Nous verrons que l’absence du connecteur perturbe la lecture uniquement lorsque la continuité narrative est rompue. Enfin, nous montrerons que cette contrainte cognitive semble s’appliquer de manière récurrente au travers des langues, car elle influence aussi le type de traduction de en effet (explicite ou implicite) en anglais, allemand et espagnol. Nous en conclurons que si l’usage des connecteurs relève en partie du style d’écriture propre à chaque personne, il suit également des contraintes cognitives universelles qui peuvent être mises au jour grâce à une approche expérimentale.