Journées internationales d’histoire du droit de Lausanne en 2023
La Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique de l’Université de Lausanne, ses autorités, Denis Tappy, Professeur ordinaire en histoire du droit, Anne Peroz, Maître d’enseignement et de recherche, et les assistants de la chaire d’histoire du droit accueilleront les prochaines Journées internationales de la Société d’histoire du droit du 1er au 4 juin 2023 à Lausanne (Suisse). Le thème en sera « Langues et paroles du droit ».
Nous espérons susciter des contributions touchant des facettes variées de ce thème et un large éventail de périodes. Les langues du droit, ce sont bien sûr d’abord les idiomes dans lesquels sont exprimés les lois, mais aussi les traités, les contrats, les opérations de procédure, etc. Pourquoi a-t-on parfois longtemps (jusqu’à nos jours pour le latin en droit canon), recouru à langues mortes, ou au contraire imposé de passer à des langues modernes, lesquelles et avec quelles conséquences (pensons par ex. à l’art. 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui voulait bannir le latin des actes non académiques, mais a aussi fini par être fatal, en France, à l’usage juridique d’autres langues vernaculaires que le français …) ? Le fréquent découplage entre la pratique et le recours à des langues d’enseignement spécifiques (principalement le latin jusqu’au XVIIIe siècle, mais on pourrait évoquer également les langues issues de la colonisation en Afrique ou désormais l’anglais universitaire) justifierait aussi certaines interrogations.
On s’intéressera aussi au plurilinguisme juridique (très ancien si l’on songe par ex. à la double version hittite et égyptienne du traité de Quadesh au XIIIe siècle av. J. C ou à certaines constitutions du Bas-Empire romain à la fois en latin et en grec), qui est un sujet incontournable dans un pays comme la Suisse. Y a-t-il alors une langue de référence et des versions « inférieures » ? et comment gère-t-on sinon les inévitables divergences, sans parler des solutions intermédiaires récemment développées avec la différence entre langues officielles et langues de travail dans l’Union européenne ? Il arrive également que, dans un texte juridique en une langue donnée, apparaissent des bribes d’une autre, comme les passages grecs du Digeste ou les gloses malbergiques du droit franc (mais aussi les expressions latines qui ponctuent de nos jours encore travaux de doctrine, plaidoiries ou arrêts là où une prohibition expresse n’a pas été édictée).
Les langues du droit invitent aussi à étudier la traduction juridique. Du latin au vernaculaire, bien sûr (comme pour les versions médiévales en français, mais aussi en provençal, voire en catalan, de textes romains ou canoniques ou pour les entreprises plus récentes et controversées d’un Hulot ou d’un Vignali, jusqu’aux traductions contemporaines du Digeste en allemand, anglais, néerlandais, etc.) mais aussi d’une langue vernaculaire à une autre (traduction en néerlandais du Somme rural, en français du Schwabenspiegel, etc.), voire du vernaculaire au latin (des « auto-traductions » de certains humanistes comme Bodin, à la curieuse version latine du Code Napoléon). Par ailleurs, en cas de traduction après coup notamment de textes légaux, sur quelle initiative ou pourquoi interviennent-elles et comment sont-elles mises en œuvre. avec parfois à cet égard certaines contraintes (comme le kata poda prévu par Justinien pour les futures versions grecques du Digeste) ?
A l’intérieur d’une langue donnée, on pourra s’intéresser aussi aux spécificités de l’expression juridique : forte abstraction, recours à des formulations impersonnelles, etc. L’art. 110 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts déjà citée, théoriquement toujours en vigueur, prohibe expressément toute ambiguïté dans la rédaction des arrêts. Peut-être certains évoqueront-ils aussi des questions de paratexte (plan, subdivisions en capitula, article ou paragraphes, titres intermédiaires, interpretationes ou notes marginales, préfaces, etc.) des textes de droit. Enfin, on pourrait s’intéresser à des formes versifiées de textes ou de règles juridiques, qui ont longtemps fourni d’efficaces moyens mnémotechniques et ont même débouché sur des tentatives de mises en vers des monuments juridiques comme les Institutes ou le code Napoléon !
Le deuxième membre du thème retenu, les paroles du droit, devrait permettre d’aborder aussi des questions touchant le fond du droit. Quelle portée normative pour les innombrables adages juridiques ciselés par les ans ? A partir d’où et comment ont évolué ces formulations certains évoquent d’ailleurs précisément le langage (Verba ligant homines, taurorum cornua funes affirme un brocard d’origine bolonaise bien connu). Quelles conséquences de droit matériel ou de procédure dépendent-elles par ailleurs de l’utilisation d’expressions précises ?
Gaius évoque à propos des actions de la loi un procès perdu pour avoir parlé de « vignes » au lieu d’« arbres ». Bien qu’un formalisme aussi extrême relève plutôt de droits archaïques, user de formulations traditionnelles et éprouvées (au sens large, le thème permettrait aussi de s’intéresser à certains recueils ou modèles d’actes) n’a nullement disparu des pratiques juridiques actuelles. Et si l’on se réfère de nos jours volontiers à l’esprit plutôt qu’à la lettre d’une loi ou d’un contrat, sommes-nous toujours conscients que l’opposition entre ces deux termes a elle-même une histoire, remontant en tout cas à la deuxième épître aux Corinthiens de Saint Paul ?
Les paroles du droit pourraient conduire en outre à évoquer des distinctions fameuses (comme celle du droit canon classique entre verba de presenti et verba de futuro) et des questions concrètes d’interprétation, qu’elles concernent des traités, des actes privés, contrats ou testaments, ou des formulations légales. La précision des termes est si importante en droit qu’elle a conduit la doctrine, voire la loi à inventer des règles applicables à de tels problèmes (interprétation contra stipulatorem, dispositions légales supplétives sur le sens d’une expression comme les art. 533 du Code Napoléon, etc.).
Enfin, nos journées ont aussi vocation à accueillir des contributions qui s’intéresseraient à la langue comme objet de réglementation : des changements d’expressions légales (passer dans le Code pénal suisse de « celui qui … » à « quiconque … ») ou des règles récentes imposant parfois des formulations épicènes en sont de bons exemples. Le législateur s’est parfois aussi préoccupé de promouvoir une uniformisation linguistique (à travers des prohibitions de dialectes régionaux aujourd’hui en général sévèrement jugées), de défendre une langue contre une autre (comme avec des normes censées lutter contre le « franglais »), de marquer dans la langue des changements politiques (le « citoyen » révolutionnaire), ou de prohiber des termes ou des noms rappelant un régime ou un dirigeant honni (avec déjà à l’époque romaine des règles consécutive à la damnatio memoriae). Savoir si des règles étatiques peuvent prescrire des changements même simplement orthographiques a d’ailleurs suscité récemment de vifs débats. Un Savigny hostile à l’ingérence de l’Etat en matière juridique aurait répondu par la négative et le parallèle entre langue et droit cher à l’Ecole historique pourrait aussi trouver place dans nos discussions …
Avec ces facettes très diverses du thème retenu nous espérons susciter la venue de nombreux auditeurs et conférenciers. Les inscriptions sont ouvertes de fin janvier au 31 mars 2023 dans la rubrique « Inscription » de ce site. En cas de difficulté, n’hésitez pas à prendre contact avec nous à l’adresse électronique shd2023@unil.ch.
Comme dans les journées de ces dernières années, la durée de chaque présentation sera impérativement limitée à 20 minutes. Pour disposer de temps pour la discussion à la suite de chaque intervention et ne pas perturber le bon déroulement des séances, nous prions les intéressés de ne pas outrepasser cette durée. Ils pourront intégrer ce qu’ils n’auront pas eu la possibilité de présenter oralement dans leur communication écrite pour les actes qui seront publiés ultérieurement.
Conformément aux statuts de la Société, les communications devront en principe être faites en français. Cette règle ne saurait toutefois être interprétée trop strictement dans des journées consacrées à la langue, d’autant que la tradition a aussi parfois admis le recours à la ou les langues du pays d’accueil. Nous pourrons dès lors accepter un petit nombre de communications en allemand ou en italien, voire en anglais. Dans ce cas nous souhaiterions alors disposer suffisamment à l’avance d’un document écrit résumant en français la communication en question et qui pourra être distribué à ceux qui assisteront à celle-ci. Au besoin Anne Peroz, moi-même ou nos assistants serons d’ailleurs à disposition pour aider à traduire de tels résumés.
Nous nous réjouissons de vous accueillir sur les rives du lac Léman et espérons que vous serez nombreux à vous inscrire. Dans l’attente du plaisir de vous saluer à Lausanne, nous vous adressons à toutes et tous nos meilleurs messages.
Les organisateurs