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Comment mettre en pratique une histoire “transmedia” sur le plan aussi bien empirique que théorique? Le colloque international “Transmedia History”, soutenu par le projet Impresso et la Section d’histoire de l’Université de Lausanne, réunira des chercheuses et des chercheurs de plusieurs disciplines pour croiser les regards sur cette question et échanger autour des nouvelles ouvertures autorisées par la numérisation d’abord, par les nouveaux outils développés ensuite à l’ère numérique, pour conduire des recherches transmédias.
Le champ de l’histoire des médias se caractérise par une multitude d’histoires parallèles, ce qui rend les comparaisons difficiles (Fickers 2018, p. 121). Pendant longtemps, la plupart des recherches sur l’histoire des médias se sont concentrées sur l’étude d’un seul média (presse, télévision, radio, etc…) ou d’une seule institution et dans un cadre généralement national. À partir du milieu des années 2000, le tournant transnational, qui a touché l’ensemble des sciences historiques, a permis l’émergence de nouvelles tendances dans les objectifs de recherche (Bourdon 2008; Vallotton et Nicoli 2021): des recherches basées sur un cadre spatial et temporel plus large, des recherches moins guidées par une approche institutionnelle, mais qui s’intéressent davantage aux contenus et à leur circulation, et des recherches qui se consacrent à un spectre élargi du champ des médias comme les technologies de la communication. Le développement de l’histoire des communications, des industries culturelles, des techniques, mais aussi des relations internationales ont contribué à une forme de décloisonnement qui a souvent ouvert la voie à une histoire plus globale des systèmes médiatiques (Mattelart 2002). Ces nouvelles approches sont notamment rendues possibles par la numérisation massive des collections de sources médiatiques et le développement de leur mise en ligne, facilitant l’accès des chercheuses et des chercheurs. Des réseaux de recherche internationaux se sont alors constitués pour poursuivre ces ambitions transnationales, d’abord autour du livre (Society for the History of Authorship, Reading and Publishing - SHARP) et de la télévision (European Television History Network - ETHN, (Post)Socialist Television History Network), puis également autour de la radio (Transnational Radio Encounters - TRE) et de la presse (Transnational Network for the Study of the Press in Foreign Languages - Transfopress). Ce virage transnational a constitué une avancée importante et a donné lieu à plusieurs publications significatives (par ex. Mollier et Lyon 2012 sur le livre; Fickers et Johnson 2012 sur la télévision; Badenoch, Fickers et Henrich-Franke 2013 sur la radio et une histoire mondiale de la presse francophone qui est en préparation).
Cependant, les frontières à franchir ne sont pas seulement géographiques, mais aussi entre les diverses institutions médiatiques (Cronqvist et Hilgert 2017, p. 134). Ce défi a été à l’origine de la formation, en 2013, d’un réseau dont l’ambition est de réaliser une “histoire enchevêtrée des médias”: Entangled Media Histories (EMHIS). Dans un texte qui fait date, publié en 2017, deux membres de ce groupe de recherche, Marie Cronqvist et Christoph Hilgert, définissent ce concept “as a means of better understanding the dynamic interconnectedness of media across semiotic, technological, institutional and political boundaries in history” (Cronqvist et Hilgert 2017, p. 130). Leur objectif n’est pas d’additionner l’histoire de médias différents, mais de mettre en avant les interconnexions qui les relient. Même si cette perspective a une certaine généalogie (Müller 2000), articulée de manière différenciée suivant les disciplines (histoire globale, histoire des communications, histoire des techniques, histoire des industries culturelles dans une perspective plus sociologique, etc.) et aussi suivant les espaces nationaux et linguistiques et même si les discussions théoriques sont importantes, on manque encore de travaux empiriques qui dépassent une approche assez cloisonnée et sectorielle pour des raisons liées autant sans doute à la pérennité d’une organisation disciplinaire des savoirs d’abord, aux barrières pratiques liées à la maîtrise d’archives différenciées et plurilingues ensuite. A l’exception de quelques études empiriques significatives qui s’inscrivent dans ce sillage (Ondřej, de Lima Grecco, Tamagne et Zierenberg 2023), la perspective monomédiatique continue de dominer le champ de l’histoire des médias et les recherches s’intéressent encore trop peu aux échanges et à la coopération entre les médias.
Ce colloque international vise à prolonger ces réflexions et ces efforts en réunissant des contributions qui privilégient une approche “transmédia”, c’est-à-dire qui font l’histoire des médias à travers l’étude simultanée de différents médias et donc qui prennent en compte l’écosystème médiatique dans lequel les médias évoluent. Plusieurs termes se réfèrent peu ou prou à ce cadre analytique (“cross-media”, “intermedial connections”, “intermediality”, “transmedial approaches”, etc.), mais nous avons choisi de privilégier le terme de transmédia qui a d’abord été introduit en narratologie (Jenkins 2006) car il nous semble qu’il permet de mettre davantage en avant les phénomènes de circulations qui opèrent entre les médias à différents niveaux (aspects institutionnels, économiques, techniques, esthétiques, ou au niveau des contenus). Le préfixe “trans” renvoie plus explicitement à une approche qui consiste à aller au-delà (“transcender”) de l’unité “monomédiatique”.
Les médias sont entendus ici au sens large: non seulement les médias traditionnels (livres, affiches, presse, cinéma, radio et télévision), mais aussi les médias plus récents comme les jeux vidéo, Internet (services de streaming, podcasts, nouvelles en ligne) et les réseaux sociaux. Le cadre temporel abordé est donc très large, s’étendant jusqu’à nos jours. En définitive, l’objectif de ce colloque est de réunir des contributions qui permettent de proposer une histoire décloisonnée et enchevêtrée des médias, non seulement en les plaçant dans un contexte social, politique et culturel plus large, mais aussi en les faisant dialoguer.
Comité d’organisation
Raphaëlle Ruppen Coutaz, Section d’histoire, Université de Lausanne
François Vallotton, Section d’histoire, Université de Lausanne
Marten Düring, C²DH, Université du Luxembourg
Martin Grandjean, Section d’histoire, Université de Lausanne
Arthur Michelet, Section d’histoire, Université de Lausanne
Keynote speaker
Marie Cronqvist, professeure d’histoire des médias à l’Université de Linköping, Suède.
Comité scientifique
Alexander Badenoch (Utrecht University); Gabriele Balbi (Università della Svizzera italiana); Kaspar Beelen (University of London); Mireille Berton (Université de Lausanne); Carolyn Birdsall (University of Amsterdam); Marie Cronqvist (Linköping University); Andreas Fickers (Université du Luxembourg); Matthieu Letourneux (Université Paris Nanterre); Simone Natale (Università degli Studi di Torino); Nathalie Pignard-Cheynel (Université de Neuchâtel); Yannick Rochat (Université de Lausanne); Valérie Schafer (Université du Luxembourg); Thomas Smits (University of Amsterdam); Dominique Trudel (Audencia Business School); Nelly Valsangiacomo (Université de Lausanne); Hans-Ulrich Wagner (Hans Bredow Institute); Anne-Katrin Weber (Université de Lausanne); Melvin Wevers (University of Amsterdam); Daniela Zetti (Universität zu Lübeck).