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La mode est l'une des plus puissantes industries du monde : elle représente 6 % de la consommation mondiale et est en croissance constante. Depuis les années 1980, elle est devenue l'image étincelante du capitalisme, combinant prestige, pouvoir et beauté, et occupe une place centrale dans les médias et les imaginaires. Pourtant, cette industrie, qui apparaît comme un horizon professionnel hautement désirable, repose principalement sur du travail précaire, et ce aussi bien là où la production est externalisée qu'au coeur de la production créative du luxe, comme les prestigieux ateliers des maisons de couture.
Par leur travail, les mannequins donnent corps aux imaginaires de l’industrie de la mode, une des plus riches et puissantes industries du capitalisme global. Cette intervention s’appuie sur des enquêtes multiples dans la mode, et mobilise en particulier le cas de Irina, mannequin kazakhe ayant travaillé pendant deux ans dans l’industrie du mannequinat sans générer aucun gain financier. Comme de nombreuses collègues, Irina a circulé dans de différentes villes européennes ainsi qu’aux États-Unis afin de travailler gratuitement pour des défilés et des productions de photos de mode. Bien qu’inscrit dans les dynamiques propres au travail créatif de la mode, le mannequinat a une spécificité : le travail de la dette. Le système d’avancement des frais par les agences fait que plus les mannequins travaillent, plus elles s’endettent. Encore, le travail du mannequinat prévoit une série d’activités, de travail sur le corps et de compétences non considérées comme étant du travail parce que naturalisées sur base d’une vision genrée. Par l’analyse du travail des mannequins cet article porte sur les processus d’invisibilisation et d’appropriation du travail des femmes dans les centres économiques et symboliques du capitalisme.
Giulia Mensitieri est docteure en anthropologie sociale et ethnologie à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. Elle enseigne actuellement au LAMC, (Laboratoire d'Anthropologie des Mondes Contemporains) de l'ULB et à l'Université de LAusanne. Elle mène une anthropologie du capitalisme à la croisée de l'anthropologie économique, politique et du travail. Depuis une dizaine d'années, son champ d'investigation sont la mode et le luxe, qu'elle considère comme des champs paradigmatiques du capitalisme contemporain en termes de productions matérielles et immatérielles, de construction des genres, de circulations mondiales et d'inégalités. Elle travaille actuellement sur les influenceuses et les mannequins, elle analyse les productions de ces travailleuses par des approches féministes matérialistes. Elle est l'auteure du livre "Le plus beau métier du monde » Dans les coulisses de l’industrie de la mode (La Découverte 2018).